On parle beaucoup de burnout, de stress chronique, de désengagement progressif dans les équipes cyber. Mais rarement, trop rarement, on nomme ce qui ronge lentement, de l’intérieur, certains analystes.
Un mal discret, invisible à l’œil nu, mais dont les effets peuvent être dévastateurs : le traumatisme vicariant.
Ce traumatisme est une réalité encore trop peu abordée dans notre univers professionnel. Pourtant, dans nos rôles de threat hunters, de SOC analysts, de forensic investigators, … nous sommes en première ligne, pas face à des bombes ou des armes, mais face à des récits d’atrocités, à des images insoutenables, à des signaux faibles d’un monde parfois glaçant.
Et même si on ne le montre pas, ces contenus laissent une empreinte. Une empreinte silencieuse, mais bien réelle. Il est temps de poser les mots. D’ouvrir le dialogue. Et surtout, de proposer des pistes concrètes pour se protéger, individuellement et collectivement.
Définition
Depuis plus de 30 ans, le traumatisme vicariant est un sujet d'étude dans les professions de la santé mentale. Au fil du temps, ces recherches se sont élargies pour inclure les secouristes, les forces de l'ordre, ainsi que les scientifiques et praticiens en médecine légale. Mais qu'en est-il de nous, les analystes cyber, les cyberwomen and men ? Les sciences sociales ont pris du retard pour aborder les défis uniques auxquels font face les professionnels de la cybersécurité confrontés à des contenus potentiellement traumatisants.
Dans nos métiers de threatintelligence, SOC, forensic, modération de contenu, OSINT, gestion de vulnérabilités, nous passons notre quotidien à analyser les ombres : attaques, violences, extrémisme, pédocriminalité, torture, exploitation humaine… Ces réalités sombres font partie intégrante de notre travail, mais à force de plonger dans ces contenus toxiques, un phénomène insidieux émerge : le traumatisme vicariant. Aussi appelé traumatisme secondaire, ce phénomène se manifeste lorsqu'une personne s'engage avec empathie auprès des victimes de traumatismes .Initialement décrit par McCann & Pearlman (1990), ce mécanisme montre que même les professionnels formés et aguerris ne sont pas immunisés contre l'impact psychologique des horreurs qu'ils analysent. Petit à petit, cela modifie nos croyances, notre rapport aux autres et, dans certains cas, notre capacité à continuer à exercer ce métier.
Il est important de souligner que tous les analystes cyber ne sont pas nécessairement exposés au traumatisme vicariant. Cependant, il s'agit d'une possibilité à laquelle tous les enquêteurs doivent être sensibles et conscients.

L'Impact caché sur les professionnels
Le traumatisme vicariant se manifeste de manière subtile mais peut entraîner des conséquences profondes et durables. En tant qu’analystes cyber, l'exposition continue à des contenus traumatisants peut entraîner des symptômes qui impactent le bien-être émotionnel et mental. Voici les principaux signes à surveiller :
- Fatigue émotionnelle : cynisme, détachement, perte de sens, et désengagement émotionnel.
- Troubles du sommeil : insomnie, cauchemars, et anxiété, souvent accompagnés de fatigue chronique.
- Agitation et incapacité à gérer les choses: sentiment de perte de contrôle et d’impuissance.
- Changements d’humeur soudains :irritabilité, frustration, et une moindre tolérance envers les autres.
- Retrait social : isolement progressif, évitement des interactions avec les pairs, amis ou famille.
- Comportements risqués : recherche de sensations fortes, y compris des comportements excessifs comme l’abus de substances ou de jeux.
- Symptômes de TSPT secondaires :flashbacks, réminiscences traumatiques liées au contenu analysé, et irritabilité persistante.
- Effondrement cognitif : perte de lucidité, biais de jugement, et recours au repli défensif.
- Épuisement professionnel (burnout) : un épuisement mental et physique exacerbés par l'absence de reconnaissance ou de soutien.
Ces symptômes peuvent se manifester progressivement, souvent sans être immédiatement perceptibles et peuvent engendrer un désengagement silencieux et, dans les cas extrêmes, conduire à un burnout. Il est essentiel de reconnaître ces signes tôt pour éviter des répercussions plus graves sur la santé mentale et la performance professionnelle.
Et si seulement ça s’arrêtait là…Mais à tout cela vient s’ajouter un bruit ambiant — ce « noise » conceptualisé par Kahneman et Olivier Sibony une forme de perturbation cognitive trop souvent négligée, éclipsée par la focalisation quasi-exclusive sur les biais.
Nous l’aborderons plus longuement dans notre article dédié à la gestion de crise
Chaque jour, une organisation moyenne est bombardée par des dizaines de milliers d’IP uniques en grande majorité malveillantes. Derrière ces adresses, des scanners automatisés, des botnets ou des acteurs opportunistes génèrent un tsunami d’événements, inondant les SIEM jusqu’à saturation. Les équipes cyber se retrouvent à naviguer à vue dans un océan d’alertes, où le bruit l’emporte sur le signal, et où les véritables menaces ciblées risquent de passer sous le radar.
Comprendre et Protéger
Avec l'explosion du volume de données accessibles via les réseaux sociaux et les nouvelles technologies, l'exposition à des contenus traumatisants a fortement augmenté.
Dans le domaine de la cybersécurité, ce risque demeure invisible et souvent non reconnu. Les analystes sont fréquemment confrontés à ces données brutales, souvent seuls, sans accompagnement psychologique ni culture de prévention adaptée.
En plus de la facilité d'accès aux contenus violents, les professionnels de la cybersécurité sont aussi confrontés à des menaces spécifiques telles que le cyberharcèlement, les contenus abusifs, les menaces extrémistes, le CSAM (Child Sexual Abuse Material),le doxing, les violences en ligne, les images violentes, les récits de meurtres, les discours de haine, la propagande extrémiste, et d'autres formes de contenus perturbants.
Bien que ces analystes ne soient pas en contact direct avec les victimes, des recherches récentes montrent que l'impact psychologique peut être tout aussi profond, même sans interaction directe avec la souffrance.
Des études démontrent que la proximité avec un événement traumatique augmente les risques de symptômes de stress post-traumatique (TSPT). Bien que les femmes soient généralement plus enclines à exprimer ces symptômes, le sexe n'est pas un facteur déterminant statistiquement.
Pross (2006)[1]a, quant à lui, mis en évidence un risque élevé d'épuisement professionnel(burnout) pour les personnes exposées à des contenus traumatiques sans mesures de soutien adaptées.
Parmi les facteurs aggravants identifiés figurent l'isolement professionnel, l'absence de reconnaissance sociale, la surcharge de cas, le manque de formation ou un mauvais équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
La relation entre les traits de personnalité et le traumatisme vicariant reste encore sous-explorée, bien qu’elle constitue un axe d’étude crucial pour mieux comprendre les facteurs de vulnérabilité. Une étude basée sur le crash de l'avion 5735[2]a montré que l'exposition médiatique à des événements traumatisants était un facteur déclencheur majeur du traumatisme vicariant, notamment chez les individus présentant des traits de personnalité tels que l'extraversion, l'amabilité et le névrosisme.
Reconnaître ce phénomène est essentiel pour protéger nos équipes, nos cerveaux et notre lucidité.
Solution
Comme pour tout traumatisme, la gestion du traumatisme vicariant nécessite une approche en trois temps : avant, pendant, et après l’exposition.
Dans un contexte où les équipes SOC sont exposées à une pression constante, il devient essentiel d’adopter une approche holistique du bien-être opérationnel. Inspiré des protocoles des forces spéciales, l'entraînement cognitif appliqué aux environnements cyber inclut désormais :
- des techniques de stress inoculation, (Il s'agit d'un type spécifique de thérapiecognitivo-comportementale visant à doter les individus d'outils pour gérerefficacement le stress. Cette technique s'appuie sur la compréhension dustress, de ses impacts et sur le développement de stratégies pour les atténuer.En favorisant la résilience et en proposant des mécanismes d'adaptationpratiques)
- des immersions en réalité virtuelle,
- des pratiques de pleine conscience et
- des ateliers ciblés de prévention du burn-out.
L’intégration de psychologues directement dans les équipes permet d'assurer un suivi personnalisé, de proposer des débriefings post-incident, et de renforcer la résilience individuelle.
On peut aussi combiner intelligence artificielle et indicateurs comportementaux, afin d’identifier les signaux faibles liés à la fatigue mentale ou à la surcharge cognitive. N’oublions pas l’importance des dispositifs de soutien social et familial pour accompagner les analystes après des périodes de forte intensité opérationnelle.
À l’échelle organisationnelle, ces initiatives se traduisent par des politiques concrètes :
- Pauses obligatoires
- Cellules d’écoute disponibles 24/7
- Mise en place d’une doctrine de résilience au cœur de la culture SOC.
- L’adaptation du stress-inoculation training au secteur civil permet aux analystes de mieux comprendre les effets du stress cyber, d’acquérir des outils pratiques (respiration, triage cognitif ,restructuration mentale) et de s’entraîner dans des conditions réalistes à la gestion de crise.
L’objectif : faire émerger des équipes durables, performantes, et profondément ancrées dans une culture de la prévention.
[1] Pross C (2006) Burnout,vicarious traumatization and its prevention.
[2]https://en.wikipedia.org/wiki/China_Eastern_Airlines_Flight_5735



On ne choisit pas d’être impacté.
- Ce n’est ni un manque de recul, ni une sensibilité excessive. C’est juste l’expression de notre humanité. Même derrière un écran. Même avec dix ans d’expérience. Même avec un mental d’acier.
- Le traumatisme ne disparaît pas sous une to-do list ou derrière un masque professionnel.
- Il se reconnaît. Il s’anticipe. Il se prend en charge. Individuellement, collectivement, managérialement. Et surtout : entre pairs.
- Ce n’est pas un signe de faiblesse. C’est une preuve de lucidité. Une question de responsabilité
- Dans un monde où les machines tournent H24, l’humain reste le maillon vital.
- Prenons soin de sa résilience.
Chez Login
Chez Login Sécurité la cybersécurité ne s’arrête pas aux firewalls.
On détecte. On protège. On répond. On reconstruit.
- De l’anticipation des menaces à la gestion de crise
- De la tech à l’humain
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On est là, avant, pendant et après l’incident.
Vous avez des outils. Nous, on a une vision.
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Parce qu’en cyber, la meilleure défense, c’est l’alliance entre la technologie… et la lucidité humaine.
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